Homéopathie, naturopathie, médecines douces : l’étonnant lobbying du cancérologue Alain Toledano

Il est cancérologue et radiothérapeute à l'Institut Hartmann dans l'ouest de Paris. Il dirige une chaire en « santé  » au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), préside la « société française d'oncologie  » et signe L'Art de soigner aux éditions humenSciences.

Mais à 44 ans, la fonction dont Alain Toledano est le plus fier est celle de cofondateur de l'Institut Rafaël. Une carte de visite qui lui vaut une certaine notoriété médiatique et une reconnaissance sociale. La liste des invités au dernier gala de son institut en novembre en témoigne : pêle-mêle se pressaient au pavillon Gabriel à Paris le nageur Camille Lacourt, l'animateur Bernard Montiel, Sidney Toledano (LVMH), Arthur Sadoun (Publicis) mais aussi et surtout Brigitte Macron.Dans un discours bien rodé, Alain Toledano décrit l'Institut Rafaël comme le « premier centre européen de médecine  ».

La vocation du lieu – nommé ainsi d'après « l'ange de la guérison »- est de « rendre accessible une autre vision du ‘prendre soin' » aux patients atteints d'un cancer en leur offrant « un parcours de soins coconstruit » et « gratuit ». Isolement, dépression, troubles du sommeil, digestifs ou autres : à travers « 40 disciplines et 90 soignants », il ambitionne de « donner de l'espoir » et « d'accompagner les malades au-delà de la guérison ». Prudent, il le dit et le redit lorsque nous le rencontrons début juillet, il n'est pas question de renoncer à une approche médicale : « Les démarches sont complémentaires, pas parallèles, sinon ce serait destructeur. »

Enoncée ainsi, la proposition ne peut que séduire. Depuis l'ouverture de Rafaël en 2018, 3 800 patients ont été accueillis, dont 1 450 rien que l'an dernier, indique-t-il.

Mais au-delà de l'indéniable succès, Alain Toledano et son Institut Rafaël suscitent moult grincements de dents et critiques dans le milieu médical. Les soins de support à destination des malades du cancer font en effet l'objet d'un cadre défini par l'Institut national du cancer (Inca), qui préconise des pratiques à l'efficacité démontrée : activité physique adaptée, diététique, appui psychologique, prise en charge de la douleur, de la santé sexuelle et de la fertilité, plus un accompagnement social et le cas échéant une aide au retour à l'emploi.

Si la liste de l'Inca n'est pas limitative, l'offre proposée par Rafaël en complément interroge. On y trouve entre autres de la et un atelier « immersion sensorielle » avec méditation, bain sonore aux bols tibétains et aromathérapie. Ou encore de la « thérapie émotionnelle » avec notamment de l'EFT, pour emotional freedom technique, une pratique psychoénergétique de libération des émotions basée sur les énergétiques chinois.

Sans oublier de l', de la luxopuncture ou encore du , défini sur le site de Rafaël comme « une technique énergétique qui renforce le système immunitaire, relance les fonctions organiques et atténue les douleurs » (sic).

Autant de pratiques qui n'ont jamais apporté la preuve de leur intérêt, encore moins chez des patients atteints de cancer.

Des protocoles d'évaluation sans groupe contrôle

« Selon le code de déontologie médicale, la liberté de prescrire est soumise aux ‘données acquises de la '. Et lorsqu'un médecin participe à des informations du public, il ne doit faire état que de données confirmées », s'agace un membre du conseil départemental de l'ordre des médecins des Hauts-de-Seine, où se situe l'Institut Rafaël. La question du recours à ces « pratiques de soins non conventionnelles à visée thérapeutique » dans le cadre de l'accompagnement des malades du cancer fait l'objet de nombreuses mises en garde dans la communauté médicale.

« Le danger, c'est qu'elles risquent d'éloigner le malade des soins à l'efficacité démontrée et/ou qu'elles altèrent sournoisement l'efficacité du traitement du cancer. Un patient dont on s'occupe bien n'aura pas besoin d'aller chercher des ‘praticiens' qui vont lui offrir un peu de rêve à travers des thérapies farfelues, surtout s'ils ne sont pas des professionnels de santé », martèle le Pr Ivan Krakowski, le président de l'Association francophone pour les soins oncologiques de support. S'il se dit ouvert à certaines pratiques complémentaires en matière de soins de support (et jamais comme traitement du cancer), celles-ci doivent absolument « être proposées dans une démarche d'évaluation ».

Pour les professionnels de santé impliqués en cancérologie, cela passe par l'utilisation de pratiques dont le bénéfice a été démontré ou, à défaut, par l'inclusion des patients dans des protocoles d'études sérieux.

L'évaluation justement, Alain Toledano n'a que ce mot à la bouche. Le site de l'Institut Rafaël regorge de chiffres : baisse de 61 % du sentiment de fatigue des malades, de 69 % de l'anxiété, etc. Des données obtenues par le biais de questionnaires d'auto-déclaration des patients, sans groupe contrôle, ni publication dans une revue à comité de lecture. Autrement dit, des résultats d'une faible valeur scientifique, qui n'apportent pas de preuve de l'intérêt des prises en charge proposées au sein de l'institut.

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Le seul article publié à date par l'équipe de l'Institut Rafaël montre… que 70 % des malades de cancer souffrent de trouble du sommeil. Et pour le reste ? « L'idée, c'est que cela puisse être publié », répond le médecin, en renvoyant la question d'éventuelles études comparatives aux pouvoirs publics. Non loin de là pourtant, à Suresnes, au sein de l' Foch, qui vient également d'ouvrir une structure dédiée à l'accompagnement des malades, de tels protocoles ont bien été mis en place.

La création de l'Institut Rafaël serait-elle avant tout une opération marketing, pour attirer les patients à l'Institut Hartmann, comme le confient d'anciens collaborateurs du Dr Toledano ? « Vous pensez vraiment que j'ai besoin de ça ? Ma consultation était pleine avant. Je ne suis pas en train de chercher des actes, nous ne sommes pas dans une logique de quantité », s'exclame-t-il. De fait, le médecin traite déjà selon nos informations de 500 à 550 patients par an – bien au-delà des standards de la profession, où un oncologue radiothérapeute s'occupe en moyenne de 250 malades par an.

« Je ne travaille pas seul, nous sommes toute une équipe », insiste-t-il. Cette activité importante ne l'empêche pas d'aller « faire de la pédagogie sur le cancer auprès du grand public », que ce soit à Télématin, BFM Business, Touche pas à mon poste avec Cyril Hanouna, ou encore sur CNews dans l'émission de Jean-Marc Morandini. Aujourd'hui, le cancérologue dit ne plus vouloir de médiatisation. Aussitôt, il se corrige : « On veut médiatiser nos valeurs, mais plus l'institut faute de pouvoir accueillir davantage. »

Pas à une contradiction près, il y a quelques jours encore, il était é sur le site d'Atlantico pour parler prévalence des cancers. « Alain Toledano fait penser à un David Khayat ou à un Léon Schwartzenberg, qui ont construit leur image grâce aux médias et au réseau », tacle un confrère, sans doute un peu jaloux.

Les recettes viennent pour l'essentiel de dons

Rien ne semble ébranler le cofondateur de l'Institut Rafaël. Toujours calme en apparence, charmeur, il a un talent rare pour séduire et décrocher les soutiens dont il a besoin. Il a su créer un écosystème autour de ses différentes activités lui assurant visibilité, notoriété et financements.

L'institut vit pour l'essentiel de dons, de mécénat et d'argent public. En 2021, ses recettes se sont élevées à 1,7 million d'euros, dont 928 000 euros de dons « manuels » et 788 000 euros de mécénat, selon les comptes officiels de l'association. Le gala n'est pas le seul moyen de rassembler des fonds. Au printemps, un appel aux dons façon Téléthon était organisé. La région Ile-de- contribue également par le biais d'un « grand partenariat » de trois ans, traditionnellement réservé à des structures comme les Restos du cœur ou Emmaüs – 280 000 euros ont été attribués à Rafaël depuis son inauguration.

Dans cette quête de financements et de visibilité, le bouche-à-oreille et le réseau politique fonctionnent à plein. Outre Brigitte Macron, Alain Toledano a pu compter sur l'appui d'Emmanuel Macron qui a posé sur les réseaux sociaux avec son livre à la main. Il est également proche de Christian Estrosi et de sa femme, Laura Tenoudji-Estrosi. Récemment, il a été désigné comme l'un des experts de « l'instance de réflexion stratégique chargée de préfigurer le plan décennal en matière de soins palliatifs », preuve qu'il a ses entrées dans les institutions officielles, même s'il assure avoir rencontré Agnès Firmin Le Bodo, la ministre déléguée chargée du dossier, pour la première fois à cette occasion.

Sa proximité avec une association nommée « agence des complémentaires adaptées », qui œuvre au développement et à la reconnaissance des pratiques de soins non conventionnelles, cofondée par Philippe Denormandie, le père de l'ancien ministre Julien Denormandie et soutenue par… Agnès Firmin Le Bodo quand elle était députée, ne gâche rien à sa notoriété croissante.

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Alain Toledano multiplie les initiatives pour se faire connaître et faire connaître l'Institut Rafaël. Fin juin, il était en Israël afin de nouer des partenariats autour de la médecine intégrative. Il évoque aussi Barcelone, Rome, Brazzaville ou Kigali où il a établi « des liens humains avec des partenaires ». On n'en saura pas davantage.

Un temps, il s'était engagé dans un projet similaire à celui de l'Institut Rafaël avec la municipalité de Nice dans un lieu à l'abandon, la Villa Paradiso. Il n'en est plus question, officiellement parce que le promoteur n'était « pas en phase ». Désormais, il est en discussion avec des Lyonnais, mais motus, il est trop tôt pour en dire davantage.

Chaire au Cnam, relations politiques… une image soignée

Le cancérologue n'a cure d'être soupçonné d'hyperactivité. Chacune de ses casquettes alimente l'autre et renforce son image de médecin respectable à la pointe d'une nouvelle discipline. On le retrouve ainsi président du comité scientifique de MedInTechs, un salon dédié à l'innovation en santé. Lors de la deuxième édition en mars au Parc floral de Paris, des start-up et des institutionnels y avaient leurs stands, tout comme… l'agence des complémentaires adaptées, encore elle.

La chaire qu'il dirige au Cnam depuis la fin de 2021 est également très utile au Dr Toledano. Qui sait qu'elle n'est pas une classique chaire académique, mais une chaire partenariale, financée par Elsan – la maison mère de l'Institut Hartmann – et Docapost à hauteur de 100 000 euros par an ? Peu importe, elle remplit parfaitement sa fonction de référence scientifique et d'outil de communication en faveur de sa « démarche intégrative ». A intervalles réguliers, Alain Toledano y accueille des événements, comme début juin, le 9e colloque international de santé intégrative ou en novembre prochain, la première « journée nationale de la société française d'oncologie intégrative ».

Chaque fois, le prestige des lieux est mis en valeur, « cocktail avec visite du Musée des arts et métiers » pour l'un, conférences dans l'amphithéâtre Abbé-Grégoire pour l'autre.

Une façade brillante qui évite trop d'interrogations sur les motivations d'Alain Toledano et les limites de son action. Ainsi, il présente l'Institut Rafaël comme un centre de soins gratuits, ce qui n'est que partiellement vrai. En effet, au-delà du « parcours coconstruit », un certain nombre d'activités du lieu – regroupées sous l'intitulé « écosystème » sur le site – sont payantes. Parmi elles, un centre de médecine prédictive qui permet « à partir d'une simple prise de sang » de limiter les risques et d'adapter son traitement.

Prochainement, Rafaël proposera aussi un centre de prévention dont les contours restent flous. L'institut vend déjà des formations à la médecine intégrative via sa structure SFO, hier gérée par Sion Toledano, père d'Alain Toledano, et dont le contact pour qui cherche à joindre ce centre est aujourd'hui Orly Derhy, mère d'Alain Toledano… Surtout, son statut d'association lui interdisant d'accepter des financements venant de structures privées moyennant contreparties, l'Institut Rafaël héberge un centre de recherche à cette fin. Les laboratoires Pierre Fabre, Boiron et Pro BTP en sont d'ores et déjà parties prenantes, pour des montants représentant 10 à 15 % du budget de Rafaël.Les liens d'intérêt entre les médecins et laboratoires pharmaceutiques sont régulièrement pointés du doigt. Cette pratique n'épargne pas les complémentaires, ni Alain Toledano. Le laboratoire Boiron a ainsi déclaré avoir signé quatre conventions et accordé une rémunération et divers avantages au cancérologue sur Transparence santé, un site du ministère de la Santé où les laboratoires déclarent leurs liens avec les acteurs de la santé. L'entreprise fait aussi partie des donateurs de l'Institut Rafaël, indique Alain Toledano. Or, le médecin met régulièrement en avant l' alors même que le débat sur son efficacité a été tranché par la Haute Autorité de santé en 2019. Une des présentations du colloque organisé par sa chaire en septembre 2022 au Cnam était consacrée aux petits granules. Il a aussi défendu la pratique sur le site « Mon homéo, mon choix », édité par l'association des entreprises du médicament homéopathique. De quoi, une nouvelle fois, interroger.

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Médecine Intégrative

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