En 2006 se tenait le premier congrès hospitalo-universitaire français sur la médecine traditionnelle chinoise à la suite duquel a été créé le centre intégré de médecine chinoise des hôpitaux universitaires Charles-Foix, à la Pitié Salpêtrière. Sa mission ? Contribuer à la prévention et au traitement des maladies chroniques par l'évaluation des techniques de médecine chinoise et leur transposition en thérapeutique. L'idée est d'apprécier les bénéfices possibles des médecines dites « non conventionnelles » ou « alternatives » qui viendraient en complément des traitements « orthodoxes » prescrits en Occident. C'est que ces façons de soigner venues d'Orient, souvent plurimillénaires, attirent de plus en plus et s'ancrent dans les mœurs occidentales. En fait, ce mouvement remonte à plusieurs siècles…On s'en rend compte en parcourant l'exposition que le musée Guimet à Paris consacre à ces médecines d'asie et plus particulièrement à trois grandes traditions, celles de l'Inde, du tibet et de l'Extrême-Orient (chine, corée et japon). On peut s'étonner de voir ce sujet abordé dans une institution dédiée aux arts, mais tout s'éclaire lorsqu'on précise que, dans ces contrées lointaines, le sacré et le religieux, deux grands inspirateurs d'œuvres d'art, sont déterminants dès lors qu'il s'agit de santé : de fait, nombre de divinités asiatiques, parfois communes à différentes religions, sont associées à la santé, qu'il s'agisse de la préserver ou au contraire de la détraquer. C'est donc plus de 300 œuvres artistiques relevant de la médecine, parfois exceptionnelles et pour la plupart montrées pour la première fois, qui sont présentées.Par quoi se distinguent ces médecines d'Asie ? Elles sont essentiellement centrées sur l'entretien de la bonne santé, ce qui ne les a pas empêchées de développer tout un arsenal de pratiques diagnostiques et thérapeutiques, qui s'exercent dans une vision globale de l'individu, tenant compte du corps, de l'esprit et de son environnement. Au contraire, la médecine occidentale met l'accent sur le traitement de la maladie, une fois déclenchée, et le plus souvent de façon ciblée sur l'organe défaillant.Cette opposition de principes n'interdit pas les points communs. Pour l'anecdote, une représentation chinoise du bodhisattva (un bouddha sur le chemin de l'éveil) Avalokiteshvara le montre sur un lion et arborant un… caducée ! Il s'agit d'un trident autour duquel s'enroule un cobra, symbole des maladies causées par les serpents. Mais les passerelles entre les deux mondes sont plus solides.
© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier
Connaissez-vous la moxibustion ? Cette technique, commune aux trois zones couvertes par l'exposition, consiste à appliquer sur la peau des moxas, c'est-à-dire des cônes ou des bâtonnets de poudre d'armoise, ici l'espèce Artemisia argyi, en combustion lente, un peu à la façon de l'encens.
Le traitement par moxibustion selon le peintre et dessinateur français Félix Régamey (1844-1907), observé au Japon, en 1876.
© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / image RMN-GP
La méthode apparaît dans le Huangdi Nei Jing, le plus ancien ouvrage de médecine chinoise traditionnelle et attribué au mythique empereur Jaune au… XXVIIIe siècle avant notre ère. Il a plus sûrement été compilé à partir du VIe siècle avant notre ère. La chaleur dégagée stimulerait certains points du corps.Ces points sont les mêmes que ceux ciblés par une autre pratique, beaucoup plus connue sous nos latitudes, l'acupuncture. Ils sont situés à la surface du corps, le long de canaux « fictifs », des méridiens, par où circule le souffle (le qi) dans le corps. Avec l'acupuncture, les cônes de moxa sont remplacés par de très fines aiguilles de métal que le médecin plante afin de régulariser le cours du qi. Les deux méthodes sont compatibles et fusionnent en une « acupuncture chaude » : à l'aiguille fichée dans la peau est ajouté un moxa dont la chaleur diffuse par le métal. Elles se sont aussi rejointes quand elles ont toutes deux été inscrites au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'Unesco en 2010.On retrouve l'armoise dans d'autres types de traitements. Ainsi, en Chine, on prescrivait aux nouveau-nés un premier bain fait d'une eau tempérée additionnée d'armoise, d'autres plantes et parfois de pièces de monnaie afin de procurer aux bébés un environnement sain et hygiénique. En Corée, le salpuri, un rite chamanique, consistait à fabriquer des flèches avec des tiges d'armoise, à leur adjoindre à l'extrémité un morceau de gâteau de riz traditionnel et à les tirer vers l'extérieur avec un arc fait d'une branche de pêcher afin d'expulser les esprits malfaisants.De ces pratiques, seules la moxibustion et l'acupuncture se sont fait une place en Europe à partir du XVIIe siècle, rapportées par des voyageurs et des missionnaires. Et l'on trouve même des mentions de la moxibustion chez Balzac, dans Le Père Goriot, et Barbey d'Aurevilly, dans Les Diaboliques. Quant à l'acupuncture, on voit apparaître en Occident des mannequins destinés à enseigner cet art de la piqûre, comme celui rapporté à la fin du XVIIIe siècle par le Néerlandais Isaac Titsingh, chirurgien et ambassadeur de la Compagnie des Indes hollandaises au Japon. On lui doit aussi un recueil de 110 recettes thérapeutiques avec des moxas.
Un mannequin chinois d'acupuncture datant du XVIIIe siècle (dynastie Qing).
© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / T. Ollivier
Dans un mouvement inverse, les praticiens asiatiques s'ouvrent aux méthodes occidentales. Par exemple, dans un ouvrage de 1825 du médecin Ishizaka Sotetsu, acupuncteur du 11e shogun du palais d'Edo, on trouve une planche associant le système circulatoire de la médecine occidentale et celui de la circulation des souffles caractéristique de la médecine chinoise.
Souffles nourriciers, souffles défenseurs et les vaisseaux du milieu du corps, une planche anatomique de 1825 réalisée par le médecin japonais Ishizaka Sotetsu (1770-1841).
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L'armoise a fait elle aussi le voyage en passant de la pharmacopée asiatique, où elle figure en bonne place, parée de nombreuses vertus, à son homologue occidentale.Dans les pratiques traditionnelles d'Asie, l'armoise annuelle Artemisia annua est prescrite en tisane pour traiter la fièvre et les inflammations en Chine et en Corée. Dans ce dernier pays, l'armoise commune Artemisia vulgaris est indiquée pour notamment traiter la jaunisse. Aujourd'hui, la science moderne et ses méthodes se penchent à leur tour sur l'armoise dont plusieurs molécules sont testées pour leurs propriétés antivirales (par exemple contre l'herpès), antiparasitaires (l'Organisation mondiale de la santé recommande l'artémisinine, extraite d'Artemisia annua, et plusieurs de ses dérivés de synthèse contre des formes sévères de paludisme) et même anticancéreuses (selon l'équipe de Gary Firestone, de l'université de Californie, à Berkeley, l'artémisinine serait utile contre le cancer de la prostate). On retrouve ici un schéma général de la conception de médicaments : nombre de principes actifs ont été identifiés dans la nature.Qu'en est-il de la moxibustion et de l'acupuncture alors qu'aucun méridien n'a jamais été identifié ? La première serait utile pour aider le fœtus à se mettre dans la bonne position avant l'accouchement lorsqu'il se présente par le siège. Sans étude vraiment concluante, l'acupuncture aurait néanmoins des effets antalgiques, par exemple en cas de migraines. En France, la Haute Autorité de santé classe l'acupuncture comme traitement adjuvant possible contre la polyarthrite rhumatoïde.C'est une position générale, y compris, nous l'avons dit, au centre intégré de médecine chinoise des hôpitaux universitaires Charles-Foix, de voir les médecines traditionnelles d'Asie comme un complément aux méthodes « classiques », allopathiques. Et c'est bien le message des commissaires de l'exposition, dont le sous-titre est L'art de l'équilibre : « le dialogue des contraires se fait dans un cadre harmonieux. Orient et Occident se comprennent désormais et retiennent l'un de l'autre des leçons essentielles et bénéfiques. »
Affiche de l'exposition Médecines d'Asie, l'art de l'équilibre, au musée Guimet, à Paris, jusqu'au 18 septembre 2023.
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