Comment, à partir d'une étude de cas sur le processus de légitimation des magnétiseurs dans notre société majoritairement scientiste, repenser la modernité, voilà le défi proposé par le très original ouvrage de Fanny Charrasse, Le Retour du monde magique.
Gardons-nous d'y voir un ressac du célèbre Matin des magiciens, de Louis Pauwels et Jacques Bergier (Gallimard, 1960), qui vouait l'avenir à l'occultisme, à l'irrationnel et à l'ufologie, avec des relents à peine dissimulés de nostalgie pour les mystiques du « surhomme ».
Tout en s'imposant une position neutre à l'égard des tenants du magnétisme (pratique fondée sur la supposition d'une force ou d'une énergie circulant entre la nature et les individus) comme de leurs adversaires rationalistes, la jeune sociologue confesse que, pour avoir été parfois troublée par les « expériences énigmatiques » à l'origine des vocations de guérisseurs, elle n'a pas abandonné sa confiance dans la tradition scientifique et ses résultats.
L'objectif de son étude, issue d'un travail de thèse, consiste au contraire à en donner une version moins servilement positiviste et finalement plus convaincante. Serrant de près les édifices théoriques de ses maîtres à penser, en particulier l'ethnologue Philippe Descola et le sociologue Bruno Latour (1947-2022), mais non sans les critiquer ni les prolonger par sa propre réflexion, Fanny Charrasse voit dans la dépénalisation progressive du magnétisme, sa professionnalisation graduelle, et même son entrée à l'hôpital dans certains départements d'oncologie, le signe de l'avènement d'une « modernité réflexive ».
Celle-ci serait destinée à se substituer à la modernisation « simple » de l'époque industrielle, caractérisée par le rejet de tout savoir qui, comme le magnétisme, passe moins bien l'« épreuve » de l'objectivité scientifique.
Un véritable plaisir de lecture
Car partir d'un principe de symétrie érigeant les trous noirs en réalités construites et non données, au même titre que les soucoupes volantes, « ne débouche pas sur un relativisme absolu, à condition d'observer à quelles épreuves résistent les unes et [non] les autres », affirme-t-elle.
Cette défense d'un constructivisme bien tempéré intervient alors que cette tendance se voit de plus en plus contestée dans les sciences sociales au nom d'un nouveau « réalisme » et même d'un alignement de la sociologie sur des disciplines comme la biologie ou l'éthologie, ainsi que le prônait récemment Bernard Lahire dans ses Structrures fondamentales des sociétés humaines (La Découverte).
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